Notre résidence créative à Sudbury

Par Sarah Gallos

En avril 2022, Julie et moi nous sommes rendus à Sudbury, en Ontario. Foolish Operations avait prévu d’y performer en mai 2020, mais lorsque la pandémie a frappé, notre diffuseur, Antoine Tremblay Beaulieu du Carrefour Francophone, a reconnu la nécessité de changer le projet. Julie et Antoine se sont mis à rêver d’un échange où les artistes locaux pourraient être immergés dans la façon de travailler de Foolish Operations, en créant des expériences de mouvement pour tous les âges. Ils se sont lancés dans de riches discussions d’échange de connaissances. Leur espoir partagé de créer des conditions idéales pour que les enfants s’épanouissent dans des expériences artistiques en tant que co-créateurs, a été une valeur déterminante pour le projet. Le plan du projet prévoyait des discussions et des ateliers couvrant les principes de pratique et les valeurs de la compagnie. Le temps serait partagé entre un dialogue artistique entre des membres de la compagnie et des artistes locaux, et une pratique de mouvement avec des enfants et leurs éducateurs. L’objectif était de créer un espace permettant aux participants d’explorer le riche potentiel de la création d’expériences artistiques pour et avec les très jeunes enfants et leurs éducateurs. Nous allions jouer avec des expériences basées sur l’approche de Foolish Operations et partagerions nos outils et nos pratiques. 

Nous avons eu le privilège de retrouver les artistes Candice Irwin et Janie Pinard pour cet échange. Nous avons entamé ce temps partagé en participant à Danse en Famille, la pratique hebdomadaire de mouvement des enfants et leurs adultes de FO. Julie et moi avons partagé les pratiques réflexives et inclusives de FO. Jochelle Pereña, artiste enseignante et responsable de l’apprentissage professionnel du Luna Dance Institute (Berkeley, CA, É-U), a offert ses connaissances sur le développement de la petite enfance, l’attachement et les théories du jeu pour une meilleure compréhension du vocabulaire et des réalités du mouvement qui existent dans les corps et les vies des enfants d’âge préscolaire. Julie a animé Ensemble Thinking, la pratique d’improvisation du Lower Left Collective et une pratique essentielle à tous les ateliers et spectacles de FO. Emilio Portal, un musicien local, a été invité à jouer de la musique en direct pendant notre temps ensemble, et est devenu un membre bienvenu de nos discussions, réflexions et planification de la semaine à venir. Nous allions pratiquer avec les enfants de la garderie en forêt du Collège Boréal, et leurs éducateurs. 

Au ‘camp de base’ du Collège Boréal des tout-petits, réflexion sur l’expérience du matin. Photo de Julie Lebel, avec de gauche à droite : Julie Lebel, Céline Kerampran, Emilio Portal, Candice Irwin et Sarah Gallos.

Lors de notre première journée en forêt, nous avons observé le site, les enfants et leurs éducateurs. J’ai adoré ce que j’ai vu. Leur salle de classe est un “camp de base”, un petit endroit dans la forêt avec des rochers à grimper, et entouré d’arbres. Chaque jour, ils passent des heures dans cet espace, avec la nature et l’environnement qui agissent en tant qu’éducateurs. Julie a souligné que les enfants sont très mobiles, que leur savoir-faire physique est excellent et qu’ils ont beaucoup de liberté pour explorer cet espace. Céline Kerampran, éducatrice de plein air pour le centre Boréal des tout-petits, explique:

“Sur le plan moteur, la forêt est pleine d’obstacles indispensables au développement des enfants. Les roches qui glissent et les racines cachées sous les feuilles… ce ne sont pas des dangers mais des opportunités d’apprendre, d’améliorer sa confiance en soi et ses capacités physiques. Les enfants apprennent aussi à mesurer le risque et faire les bons choix.

L’après-midi de cette première journée, l’équipe d’artistes a réfléchi à ce que nous avions observé, d’abord avec Céline alors que nous étions encore dans la forêt, puis plus en profondeur, avec l’équipe d’artistes de retour dans notre studio. À partir de ces observations, nous avons créé des activités potentielles à explorer dans les jours à venir. Ceci est devenu le format de notre pratique quotidienne : les matins dans la forêt avec les enfants et les éducateurs, les après-midis à réfléchir et à affiner ce que nous, en tant qu’artistes, allions essayer le lendemain. Janie a réfléchi :

“la construction de structures et d’activités, des discussions, des accords de groupe et la réflexion (personnelle et en groupe) c’est nécessaire pour ce travail, mais d’être capable de lâcher prise, d’être ouvert, flexible, présent et curieux avec les petits enfants c’est aussi important (même plus??????) pour un travail qui a un immense focus sur la création qui viennent d’eux et la co-création”.

Préféré de Julie : des notes sur grand papier brun que toute l’équipe peut voir dans notre studio.

Chaque jour, nous retournions et réessayions, en nous appuyant sur nos expériences collectives. Les artistes faisaient des découvertes. Emilio en témoigne : “C’était fascinant parce que je pense que la façon dont les enfants fonctionnent est très différente de celle des adultes. Nous en discutons beaucoup lors de nos réunions – nous voulons planifier les choses et structurer ce qui va se passer – mais cela arrive rarement, il y a une structure générale qui se déroule, mais les événements plus petits changent et se transforment, c’est une collaboration totale avec les enfants, avec tous ceux qui sont là”. Candice a remarqué ” à quel point les enfants étaient plus réceptifs au mouvement et au sons avant le langage structuré “. Réfléchissant à son expérience, elle a déclaré : ” Leur perception de la subtilité me surprenait constamment ! “. 

Au fil de la semaine, nous avons tous vécu de beaux moments de découverte. Julie a adoré improviser avec les enfants et les arbres. Elle se souvient de Ludivine, 4 ans, qui a inventé une superbe courte mélodie semblable à un chant d’oiseau et pleine de rythme. Julie a joué à des jeux d’inversion de pouvoir et de mouvements clownesques pour amplifier les possibilités de mouvement : tomber différemment, réagir au ralenti, reproduire leur mouvement, etc. Je me suis retrouvée à approfondir ma pratique d’observation silencieuse et à chercher des pistes subtiles pour proposer un moment d’apprentissage avec un ou plusieurs enfants. Candice a également remarqué que les enfants “se souvenaient d’une idée ou d’un jeu que nous avions présenté plus tôt, mais qu’ils la développaient en utilisant leur propre vocabulaire de mouvements, idées créatives ou des extensions des règles du jeu.”

Les éducateurs ont remarqué que les enfants bougeaient et se comportaient d’une manière qu’ils n’avaient jamais observée auparavant et ils ont exprimé leur surprise et leur joie face à ces observations. Comme le mentionne Gloria,

” les enfants avaient l’occasion de s’exprimer d’une façon créative, tout était basé sur l’enfant et non les artistes “.

De nombreux éducateurs ont noté les avantages de se mettre au niveau de l’enfant et de bouger comme lui, par exemple ramper comme l’enfant qui ne sait pas encore marcher. Les éducateurs ont souligné le pouvoir des interactions non verbales. Le Collège Boréal a même invité des éducatrices en formation à observer et à participer à l’expérience. Chacun a appris quelque chose de l’expérience.

Ensemble, les artistes ont décidé d’utiliser une structure appelée “I-We-Us” (Je-Nous-Tous), une adaptation de “I to You to We to Us” identifiée dans une recherche menée par le Luna Dance Institute avec Edward (Ted) Warburton, PhD, (Université de Californie) et avec Patricia Reedy, directrice de l’enseignement et de l’apprentissage, Nancy NG, directrice de l’engagement communautaire, ainsi que les instructeurs du programme MPACT. Pour expliquer un peu plus le “I-We-Us”, le “I” permettait aux artistes participants de prendre un moment en début de matinée pour se poser dans la forêt, d’orienter et honorer nos curiosités d’improvisation. Les moments “We” étaient des interactions organiques entre enfant et adulte. Dans ces moments, les artistes essayaient d’appliquer les connaissances et les compétences issues de notre recherche tout en gardant nos curiosités en éveil. Nous laissions aux enfants la possibilité d’être autonomes dans leur façon de participer. Emilio a reconnu :

“La fusion de la danse, du théâtre, de la clownerie et de la musique et le fait d’être vulnérable ensemble – ce contraste est très intéressant pour les enfants, d’habitude nous essayons de dire aux enfants comment faire les choses alors que les enfants essaient d’explorer et de jouer. Le jeu et la vulnérabilité sont essentiels dans ce type de travail, il faut être ouvert aux réactions des enfants, mais aussi à leurs initiatives. J’ai dit quelque chose lors de notre session lorsque nous parlions des approches – ” le jeu est notre colle “. C’est la devise pour moi, c’est une superbe devise. Peu importe ce que vous faites, vous ne pouvez pas oublier que le jeu est votre fondation et la base de votre pratique. C’est une grande leçon à retenir et cela affectera certainement ma pratique avec les enfants à l’avenir. Il est difficile pour beaucoup d’adultes d’aller jusque-là – être plus libre, avoir moins d’attentes, moins d’inhibitions et bouger avec cette énergie jeune et innocente”.

Pour moi, ceci impliquait de reconnaître où les enfants se situaient dans leur parcours de développement et d’honorer cela à travers mes choix de mouvements avec eux, ainsi que de dire oui aux suggestions des enfants.

Nous finissions nos journées d’un grand moment “US” – enfants et adultes, artistes et éducateurs créant un rythme et une danse ensemble pour clore la pratique quotidienne. Janie partage :

“J’ai toujours adoré nos moments en gros groupe à la fin (moment Us). C’était une genre de célébrations musicales qu’on créait ensemble. Après nos aventures en solo, duo, trio, petit groupe… On se rassemblait et nous étions tous témoins des réactions au rythme avec des mouvements de hanches, de pieds de genou qui plient au beat …c’était un moment organique auquel tout le monde contribue de sa propre façon.”

Le vendredi, nous avons fait nos adieux à la garderie en forêt et sommes passés en mode performance pour nous préparer à présenter Tricoter avec un violoniste local, Duncan Cameron, pour l’ouverture officielle de la nouvelle Place des Arts de Sudbury. Janie et Candice ont également présenté une pièce à la GN-O, développée en tenant compte des pratiques de Ensemble Thinking, tout au long de la fin de semaine de festivités. Candice mentionne :

“J’aimerais continuer à explorer comment ces interactions dans les garderies peuvent servir de catalyseur pour créer des œuvres plus performatives avec et pour ce groupe d’âge. En travaillant avec Julie et Sarah, puis en assistant à leur performance de Tricoter à la fin de leur visite, je vois un lien évident entre ces deux expériences. J’ai hâte d’en apprendre davantage sur la façon de passer de ce stade initial de jeu facilité à un stade de performance ludique pour les jeunes publics.”

Je pense pouvoir parler au nom de tout le monde en disant que nous avons tous été émus par cette expérience. Elle m’a rappelé que c’est en collaborant avec d’autres personnes partageant les mêmes valeurs, y compris les enfants, que la magie opère. Lorsque nous travaillons par le biais de l’échange dans un contexte de soutien, chacun peut donner le meilleur de lui-même. Cette expérience a été possible grâce au soutien de l’équipe du Carrefour Francophone de Sudbury, d’Antoine Tremblay Beaulieu, des artistes locaux participants et des éducatrices locales au Boréal des tout petits – merci pour vos perspectives, vos contributions et votre soutien – (y compris la cuisine bien garnie, Antoine !!).

Nous sommes aussi reconnaissants du soutien continu du Département du Patrimoine Canadien pour son soutien continu depuis 2020 qui nous permet de développer notre expertise en travail avec et pour la petite enfance dans un contexte bilingue. 

Ce que j’ai appris pendant ces 10 jours m’a changé et m’a posé. Je suis très enthousiaste à l’idée de poursuivre ces explorations et de rendre possibles d’autres expériences. 

Je tiens à exprimer un grand merci à tous ceux qui ont participé à ce projet. C’est un projet que je n’oublierai jamais.

Janie Pinard regarde la documentation de l’expérience de la résidence de danse créée par les enfants via un processus appelé “Floor Book” facilité par les éducatrices.