Nos lignées et nos langues pour apprendre et grandir

(par Julie Lebel)

Cette année, j’ai pu consacrer du temps à mon propre parcours de décolonisation afin de mieux soutenir le développement et les apprentissages de Foolish Operations.

Ce projet m’a permis de consacrer un temps précieux à la lecture de livres, d’articles et de ressources, à la participation à des ateliers et à des panels animés par des leaders et des gardiens du savoir de notre communauté, à des discussions et à l’accompagnement de la part des membres de notre conseil d’administration, de mentors, de pairs, de parents et, comme toujours, des enfants.

Ce projet a été soutenu par le BC Arts Council dans le cadre du programme Arts Impact et a été imaginé en étroite collaboration avec mes associées artistiques Caroline Liffmann et Sarah Gallos.

Le projet s’inscrit parfaitement dans un autre projet soutenu par la ville de Vancouver, dans le cadre du projet Cultural Spaces Small Grant, afin d’explorer les lieux et les espaces les plus propices au rassemblement des familles pour les spectacles, les ateliers, la pratique réflexive, et aussi de nos besoins plus concrets en terme d’espace de travail et d’entreposage pour accessoires et costumes. Je partagerai une réflexion sur cette partie du processus dans un article à venir.

Les principaux consultants pour ce projet Arts Impact étaient Dorla Tune de Vantage Point et Aurelia Kinslow de Sun Curriculum.

Notre processus avec Dorla Tune

Dorla Tune a soutenu le début de notre projet en septembre 2022, en guidant notre équipe de base et notre conseil d’administration dans le cadre d’une planification stratégique et organisationnelle. Dorla nous a suggéré de créer une version d’une page de notre plan à partager avec nos partenaires.

Le cadre pédagogique pour la petite enfance

Dorla Tune nous a également orientés vers le cadre pédagogique pour la petite enfance mis en place en Colombie-Britannique. La plateforme en ligne décrit le cadre pédagogique comme un guide qui « aide les lecteurs à réfléchir et à favoriser l’apprentissage des jeunes enfants». Dans leurs termes, le cadre : «établit une vision pour vivre et apprendre ensemble dans le respect; soutient les riches expériences d’apprentissage de la petite enfance; offre un point central de discussion pour les Britanno-Colombiens; crée une langue commune et favorise une meilleure compréhension quant à l’importance de l’apprentissage de la petite enfance.»

Source : https://mytrainingbc.ca/ELF/
Les principes d’apprentissage des premières nations sont un élément essentiel du cadre pédagogique. Ces principes ont été élaborés en partenariat avec le Comité directeur de l’éducation des Premières nations et le ministère de l’Éducation de la Colombie-Britannique. Ils constituent un élément important du programme d’enseignement de la Colombie-Britannique. Comme le décrit le cadre d’apprentissage des jeunes enfants : « [Les principes d’apprentissage des Premières Nations] représentent un énoncé de la sagesse commune des aînés issus des communautés autochtones de la Colombie-Britannique, et ils sont intégrés dans les programmes d’études de la province et dans le Cadre pédagogique pour la petite enfance. Cette intégration visait à ce que le système d’éducation et d’apprentissage pour la petite enfance de la province reflètent les perspectives, les connaissances, les valeurs et les perceptions des Autochtones.»
Source: https://www2.gov.bc.ca/assets/gov/education/early-learning/teach/earlylearning/early_learning_framework.pdf

Au cours des derniers mois de l’automne et au début de l’hiver, Sarah, Caroline et moi-même avons suivi le cours en ligne sur le cadre d’apprentissage de la petite enfance et avons exploré la matière par le biais de discussions et de pratiques au sein de notre programme Danse en Famille. Nous avons convenu de commencer notre processus par quelques propositions et questions :

  • «L’apprentissage exige une exploration de sa propre identité.» (p. 14)
  • «Les familles sont les premiers enseignants, les principaux responsables et les premiers détenteurs du savoir pour leurs enfants. Les familles sont le plus important contributeur du bien-être et de l’apprentissage des enfants. » (p. 16).
  • «Comment faire en sorte que les parents, les familles, les aînés, les personnes de toutes les cultures, les langues et les gardiens du savoir spirituel se sentent chez eux dans mon programme?» (p. 73)
Source: https://www2.gov.bc.ca/assets/gov/education/early-learning/teach/earlylearning/fr_early_learning_framework.pdf

L’exploration de notre identité, en particulier de nos lignées et de nos langues, est un point d’entrée naturel pour le travail de décolonisation que nous effectuons au sein de Foolish Operations et de Danse en Famille. En tant que compagnie bilingue (français-anglais) axée sur la connexion intergénérationnelle, nous avons beaucoup à démêler et à explorer !

Notre processus avec Aurélia Kinslow

Bien que nous ayons eu de nombreuses conversations préparatoires depuis la conception du projet, nous avons officiellement commencé notre processus avec Aurélia Kinslow en février, par le biais de son ses services de consultation Sun Curriculum.

Biographie :
La lignée maternelle d’Aurelia Kaililani Kinslow est autochtone (Cherokee/Chickasaw), afro-américaine (Fulani/Igbo) et écossaise. Son père Hānai, aujourd’hui décédé, était Kanaka Maoli. Il l’a nommée Kaililani d’après le nom de sa lignée maternelle, basée sur la Grande île d’Hawaï. Mme Kinslow réside aujourd’hui avec sa famille sur le territoire traditionnel des nations Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh. Sa maîtrise en éducation et en études des curriculums à l’université de la Colombie-Britannique portaient sur l’éducation autochtone. Ses intérêts sont fondés sur une vie de pratique de la danse tahitienne, et son projet de maîtrise en recherche artistique à l’Université d’Hawaï s’intéresse à la décolonisation par la danse, la culture et la revitalisation de la langue à Tahiti.

Ces passions artistiques et de recherche continuent d’alimenter son ardent engagement en faveur de la revitalisation culturelle, de la justice sociale et de l’amélioration des possibilités d’éducation dans les communautés autochtones.

Aurélia a décrit notre processus dans les termes suivants :

« J’ai animé une série d’ateliers et de discussions individuelles avec Foolish Operations. L’un des objectifs des ateliers était d’examiner les pratiques actuelles et de les aligner sur le cadre pédagogique de la petite enfance. Les participantes ont évalué avec succès la pertinence et les limites de la ressource, et ont approfondi les concepts clés qui sont essentiels à la compréhension de l’indigénisation, y compris, mais sans s’y limiter :

  • Connaissance de la terre : réflexion sur les façons d’en apprendre sur la terre ; façons d’être dans et/ou avec les lieux ; façons d’assurer l’intendance ;
  • Les relations : réfléchir aux relations et les recadrer au-delà des notions imposées de famille nucléaire ; établir des liens avec la terre, la communauté, les personnes qui ont été aliénées et exclues ;
  • Décolonisation : remettre en question les impacts personnels de la colonisation, ainsi que les impacts sur le monde qui nous entoure ; apprendre les moyens de troubler et de remettre en question ces interruptions dans nos relations personnelles, familiales, communautaires et dans notre compréhension du monde ;
  • Responsabilité personnelle et communautaire : recentrer notre engagement pour inclure plus d’ouverture, de patience, de rythme, les besoins de ceux avec qui nous établissons des relations dans le cadre de notre travail.

Les participantes ont reçu une liste de ressources pertinentes pour approfondir la recherche, la formation et le développement dans les domaines explorés lors des ateliers.»

Lors des sessions animées par Aurelia Kinslow, Caroline, Sarah et moi-même avons discuté des sujets ci-dessus, en utilisant le thème des lignées et des langages, y compris nos langages artistiques, comme point d’entrée. J’ai particulièrement apprécié d’en savoir plus sur nos lignées générationnelles – les miennes et celles de mes collaboratrices de longue date – célébrant près de 15 ans d ‘entrecroisements professionnels. Je comprends mieux comment nos histoires ont orienté notre vie et notre travail dans le présent. Dans les affres des conditions de vie actuelles, même ma propre histoire me semble parfois invisible. Il était inestimable de faire une pause et de se connecter à nos lignées et de ramener notre passé dans le présent, ce qui nous a permis de mieux nous orienter et de faire des choix plus fondés qui affectent l’avenir de nos familles et de nos pratiques artistiques.

Caroline Liffmann a également animé une conversation sur nos lignées et nos langues avec les participants adultes de Dancing the Parenting ce printemps. Cela nous a rapprochées et je pense que nous pourrons approfondir davantage notre pratique artistique commune en lumière de cette conversation.

Dans notre pratique de Danse en Famille, Sarah et moi avons également vécu un moment mémorable avec une grand-mère parlant le cantonais et son petit-enfant. Nous avions fait des efforts délibérés pour inviter les participant.es à partager des mots dans leur langue pendant des jeux de danses, et ce tout au long du cours. Curieusement, ce matin-là, elle est restée plus longtemps après le cours et nous avons eu une belle discussion sur la médecine traditionnelle chinoise et les méridiens. Nous étions toutes assises à proximité l’un de l’autre pendant qu’elle partageait des techniques de massage liées aux méridiens. Nous espérons qu’en ouvrant les portes à toutes les langues présentes dans le studio, nous pourrons favoriser un meilleur partage des connaissances sur les pratiques, les mouvements, les histoires et les chansons des premier.es enseignant.es des enfants.

Tout au long de l’année, nous avons eu la chance d’assister à de nombreux ateliers, festivals et discussions qui exploraient également les langues et les lignées. Ces événements ont été soigneusement encadrés par de précieux responsables artistiques et culturels. J’ai été reconnaissante pour les nombreuses présentations, discussions et ateliers qui se sont déroulés simultanément dans la communauté, notamment:
– le Vines Festival,
-le Still Moon Arts’ Festival,
-le Africa with the Masters Festival,
-les “Talking Truths” Circle Conversations de O. Dela – Matriarch Uprising Festival,
-l’atelier d’apprentissage de la langue Ktunaxa par la danse avec Samantha Sutherland dans le cadre de Matriarchs Uprising,
-Exploring the innovation of Indigenous-led organizations dans le cadre de la série T.R.A.I.N par Mass Culture – Mobilisation Culturelle, et;
– le Coastal Dance Festival organisé par Dancers of Damelahamid avec des discussions en soirée sur les relations à la terre et aux langues.

Ce projet a permis à notre équipe principale d’assister à ces événements en tant qu’associés artistiques de Foolish Operations, de réfléchir à ce que nous avons appris et d’inviter les familles de Danse en Famille à nos côtés, dans la mesure du possible.

Prochaine étape

Notre prochaine étape est de formaliser l’engagement de notre famille de mentors dans le développement d’un cycle d’apprentissage et de création. Nous espérons trouver des moyens de rendre la pareille à nos mentors pour les nombreuses façons dont ils ont influencé le travail de Foolish Operations. Ces «accords de réciprocité», tels que définis par Dorla Tune, sont un moyen d’étendre l’impact de nos mentors à davantage d’artistes et de familles, afin que nous puissions continuer à créer des expériences de danse accueillantes où les enfants, les adultes, les familles, les artistes et les éducateur.rices se sentent comme chez eux, et où nous pouvons renforcer les liens entre les artistes et le public, les enfants et les parents et tuteurs, les familles et les cercles de soutien, les gens et notre environnement.

Illustration de l’article par Wen Wen (Cherry) Lu